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Amari est né à Palène-Dède au début du XVIe siècle, du grand lamane, Déthiéfou Ndiogou Fall et de la princesse Ngoné Sobel, soeur du roi du Baol, le Tègne Niokhor Ndiaye Kouli Ndjigan. On raconte qu’un marabout du nom de Amadi Dia, originaire du Fouta-Toro, était venu élire domicile auprès de son père. Pendant la grossesse de sa mère, le Toucouleur prédit que l’enfant serait un garçon qui deviendrait plus tard un grand chef. Il demanda à son père de lui faire l’honneur et la faveur de prier pour la mère et de faire des gris-gris pour le garçon à sa naissance. Ce qui lui fut accordé sans difficulté, car Déthiéfou Ndiogou était l’ami intime du marabout.
Ainsi Amadi Dia fut appelé dans le Baol et gardé jalousement par le roi qui lui demanda de ne prier que pour Amari Ngoné Sobel. Il lui donna une concession et des esclaves qui travaillaient pour lui au village de Khoupoye, non loin de sa résidence de Séo-Lef (Ndaden).
Amari Ngoné, son enfance
Amari était sain et vigoureux, doué d’une intelligence vive et d’une amabilité rare. Dès son adolescence, il présentait très précocement toutes les qualités d’un futur chef. Son oncle, le Tègne lui adjoignit son cousin germain Manginak Diouf qui fut son ami d’enfance et son confident. Ils faisaient la navette entre le Kayor et le Baol, sous la surveillance et la garde des esclaves de leur oncle. Ils étaient abordables et aimables, corrects à l’égard de leurs camarades et respectueux envers les vieillards. Ils distribuaient d’innombrables cadeaux aux hommes, aux femmes et même aux petitsenfants. Aussi, ils s’étaient attiré de nombreux amis dans tous les milieux, ce qui leur avait donné une influence et une popularité sans bornes. En agissant ainsi, ils rêvaient de pouvoir soulever le peuple contre le Bourba Dyolof afin d’obtenir l’indépendance de leurs pays, fatigués sous le joug impitoyable de ce dernier qui leur faisait exécuter des corvées inouïes.
Le jeune Amari Ngoné, voyant que la totalité de la jeunesse lui était dévouée, prit la ferme décision de mettre son projet à exécution, c’est-à-dire d’en finir avec le Bourba. Et, sous prétexte d’apporter les redevances coutumières annuelles au roi, il demanda à son père malade et à son vieil oncle de lui faire l’honneur de diriger le convoi des prestataires. On lui donna satisfaction, avec l’approbation de tous. Il commença d’abord par le Kayor en y choisissant des compagnons, et en sélectionnant les jeunes gens vigoureux et braves, renvoyant les faibles et les vieillards. Quant il eut le contingent voulu, il partit vers le Baol où il fit de même. Lorsqu’il vit que ses troupes étaient en mesure de tenir tête à l’armée du Bourba, forte de 10 000 personnes — car ce dernier commandait en ce moment le Kayor, le Baol, le Dyolof, le Walo, le Sine, le Saloum et le Niani-Ouli —, il partit vers la capitale du roi. D’accord avec son oncle le Tègne Niokhor Ndiaye, il avait armé tous ses compagnons de lances, de coupe-coupes, de poignards, de gros bâtons, en leur recommandant de se tenir prêts à se battre en cas de conflit.
On raconte qu’Amari Ngoné, au lieu de se diriger directement vers la capitale du Dyolof, Thiengue ou Oualkhokhe, côtoya la frontière entre le Saloum et le Dyolof avec son armée, pour dissimuler sa marche. Il arriva à la mare légendaire de “Danki” située au sud de Taïf, à 15 km dans le canton de Ngaye (arrondissement Colobane). Il aurait laissé à cet endroit le gros de son armée pour tendre un piège et serait parti avec le reste pour provoquer son adversaire. Une version ancienne très populaire, digne de foi, dit qu’à partir de la mare jusqu’à la demeure royale, Amari Ngoné Sobel avait fait enterrer au long de la route, tous les deux kilomètres environ, une réserve de lances équivalente au nombre de ses soldats, toujours à un endroit bien marqué. Arrivé devant la maison de Bourba, qui s’appelait Léléfoulifak, il le fit prévenir, mais fut mal reçu. Vexé, il dit à haute voix « Partons, nous n’avons plus besoin d’un pareil chef ». Le Bourba entra en colère et commanda à ses soldats de ramener les Kayoriens. Ceux-ci refusèrent tout en prenant le chemin par où ils étaient venus. Amari Ngoné et Manginak, à la tête de leurs troupes, ne cessèrent de faire preuve d’une haute valeur militaire et de sang froid en attirant peu à peu leurs ennemis vers les réserves de lances et vers le gros de l’armée placé à Danki. À l’approche de chaque réserve, ils couraient prendre de nouvelles armes en criant “Nger jox jak”, “Nger, donne-moi une lance”. Les soldats imitèrent le geste de leurs chefs et prirent eux aussi de nouvelles lances aux yeux des Dyolof-Dyolof émerveillés et découragés, croyant qu’il s’agissait de magie. Arrivés à Danki, ceux-ci furent massacrés par les Kayoriens qui les attendaient. Leur roi fut tué et le reste de son armée mis en déroute. Il existe plusieurs versions sur la situation de la fameuse mare de Danki. Les uns disent qu’elle est située dans le Walo, les autres, dans le Ndiambour, les autres dans le Dyolof. Ce qui est certain, c’est que c’est là où fut tué Léléfoulifak et où se termina la bataille qui donna l’indépendance aux pays qui formaient l’empire du Dyolof.
Après sa victoire, le jeune Amari Ngoné toujours accompagné de son inséparable ami et cousin Manginak, rentra triomphalement dans le Baol et ensuite dans le Kayor, à la tête de son armée victorieuse.
Ce qu’il importe de savoir, c’est que la plupart des noirs, surtout les princes prétendants aux trônes et aux places de Kangam, ne confient leurs plus profonds secrets qu’aux membres de leur famille maternelle (soeurs, frères, cousins, cousines, oncles, tantes, neveux, nièces, grand-pères ou grandmères maternels). Ce sont ces derniers qui doivent accomplir certaines démarches comme l’achat de chevaux de guerre, le paiement de gris-gris et de marabouts, l’habillement, l’achat d’armes. Dans les combats, ce sont eux qui encadrent les princes et constituent la garde personnelle.
Tous les autres membres de la famille ne sont informés qu’au dernier moment des décisions. C’est à cause de cela que le marabout Amadi avait été retiré du Kayor et gardé jalousement dans le Baol, par l’oncle d’Amari Ngoné, le Tègne Niokhor Ndiaye.
On présume que le lamane Déthiéfou Ndiogou n’a été au courant des démarches de son fils qu’au dernier moment. Au contraire, l’oncle d’Amari a été toujours en parfait accord avec son neveu et dans la plus complète communauté d’idées. Il a donc contribué puissamment à la guerre libératrice de Danki en fournissant de nombreuses armes et des partisans à son neveu.
La version selon laquelle Amari Ngoné serait parti du Baol pour aller dans le Dyolof, côtoyant la frontière pour dissimuler sa marche jusqu’à la mare de Danki, est donc vraisemblable.
Le Tègne Niokhor Ndiaye voulait à tout prix être remplacé sur le trône par son neveu Amari Ngoné Sobel, ce qu’il obtint au détriment de ses propres fils.
Amari chercha à suivre les traces de son oncle et voulut évincer son fils Massamba Tako auquel il fit épouser, à son insu, sa soeur maternelle, Tioro Ndjingèn, dans le seul but d’avoir un neveu qui serait son successeur sur le trône au détriment de ses propres fils. De ce mariage, naquit le prince Mamalik Tioro Ndjingèn, futur roi du Baol, qui tua son père pour réunir les deux pays sous son autorité.
Après la bataille de Danki, Amari Ngoné rentra triomphalement dans le Kayor avec son armée victorieuse. Les Kayoriens se réunirent alors pour fêter la victoire et l’indépendance de leur pays. Les cérémonies se déroulaient à Palène-Dède, village de Déthiéfou Ndiogou auquel on donna solennellement le titre de Damel. On tua de nombreux boeufs. On fit des festins sans nombre. Durant une semaine, on dansa au son des tam-tams, on but de l’alcool, on chanta les louanges du brave Amari Ngoné Sobel. De tous côtés venaient les petits lamane, apportant de nombreux boeufs au père de ce dernier.
Le nouveau Damel sortit pour visiter un des troupeaux. Il était accompagné de nombreux suivants. À son arrivée, à son entrée dans le parc, les animaux prirent peur et sautèrent pour sortir. L’un d’eux, qui avait un grand bâton attaché à la tête à cause de sa violence, tomba sur le roi qui fut grièvement blessé et mourut quelques heures après. Son règne n’avait duré que six jours.
On procéda à son enterrement et à ses funérailles à la fin desquelles les notables se réunirent et élirent à l’unanimité le jeune Amari Ngoné comme Damel, en remplacement de son père.
À peine assis sur le trône du Kayor, Amari apprit la mort de son oncle, le Tègne Niokhor Ndiaye, roi du Baol. Amari Ngoné se rendit aussitôt dans ce pays pour assister aux cérémonies funèbres qu’il devait présider. Quand les fêtes furent terminées, les notables se réunirent en assemblée générale et nommèrent Amari roi du Baol, à la place de son oncle.
Amari Ngoné Sobel, roi
Ainsi, Amari cumula les commandements des deux pays qu’il organisa en leur donnant la constitution suivante :
1. Le roi est le grand maître qui commande aux destinées du pays. Il est le seul propriétaire des terres, des mers, des rivières, des fleuves, en général de toutes eaux et de toute végétation. Lui seul a le droit d’expulser un malfaiteur du pays. Il nomme ou révoque les chefs de régions ou Kangam.
2. Le roi est aidé au gouvernement du pays par les chefs de régions ou Kangam dont la fonction revenait aux princes, à certains notables, aux esclaves de la Couronne, et qui représentent le roi et rendent la justice en son nom : ce sont ses ministres.
3. À côté de ces derniers, il y a un conseil des notables qui sont appelés à donner leur avis sur les questions importantes. Il est présidé par le Dyawriñ Mboul ou premier ministre. Le conseil, à l’unanimité, nomme ou révoque le roi ou l’expulse du pays (Jin).
4. Le Dyawriñ Mboul a le droit de proposer pour la nomination aux postes de Kangam ou chefs de région. Le roi est libre de nommer sans lui demander son avis. Le Dyawriñ est chargé de régler les différends entre les princes et les Kangam. Si un prince se montre incorrect à l’égard du peuple le Dyawriñ Mboul propose au conseil des notables son expulsion ou son maintien sous surveillance.
5. Tous les princes prétendant au trône ou au poste de Kangam sont commandés par le Dyawriñ Mboul, ainsi que tous les marabouts professeurs d’école coranique.
6. Le galak, ou impôt personnel, est payé obligatoirement tous les ans par le peuple, exemption faite des princes, des guerriers et des marabouts de profession.
7. Le service militaire n’est pas obligatoire. Tout guerrier qui ne veut pas s’en acquitter, peut s’installer à côté des marabouts et y prononcer la profession de foi, ou se considérer comme badolo, en se soumettant aux devoirs du simple paysan.
8. Les lamane sont de simples gardiens des terres. Ils peuvent, comme par le passé, distribuer des lougans aux cultivateurs, moyennant des redevances annuelles coutumières consistant en gerbes d’épis de mil, en poulets, chèvres, moutons, ou litres de beurre et atteignant une certaine valeur. Ils sont remplacés par leurs fils, frères ou neveux.
9. Avant de prendre fonction, le nouveau lamane est tenu de donner au roi un droit appelé Dyëk consistant en un cheval, des bœufs, des bijoux ou des présents semblables.
La constitution fut acceptée à l’unanimité par les notables, les lamane, les princes et les marabouts, et fut appliquée sur le champ aux deux pays.
Amari Ngoné, toujours guidé par son marabout Amadi Dia, se proposa de changer sa résidence pour la placer au coeur du Kayor. Le marabout demanda qu’on lui apportât un pigeon vivant dit Pitax u Marem, “pigeon de Marem”, un tout petit pigeon ayant un trait noir sur le cou. Le marabout lui attacha un gris-gris au cou et lui rendit la liberté. Le premier arbre sur lequel il se poserait serait désigné comme l’arbre de la grand-place de la nouvelle capitale, le Pinc. Des personnes furent chargées de le suivre de près. L’oiseau se posa sur un arbre appelé mbul situé sur un champ de coton appartenant à un nommé Ndasmi Lo. Ainsi se fonda le village qu’on baptisa Mboul, du nom de l’arbre.
Amari Ngoné s’installa dans sa nouvelle demeure royale. Mais au bout de trois mois seulement, le successeur de Léléfoulifak, tué à Danki, le Bourba Mbagne Danti, qui croyait pouvoir venger la défaite de son frère, s’avança dans le Kayor avec une formidable armée. Le Damel alla à sa rencontre, le battit à Ouarack et le tua. Sept mois après, le frère et remplaçant du Bourba tué à Ouarack, nommé Silakhou Galam, marcha contre le Kayor avec une armée aussi importante que celle de son prédécesseur. Amari Ngoné, à la tête des Kayoriens, arrêta l’ennemi à Deye Seumb et le tua après avoir mis ses troupes en déroute.
Après cette dernière guerre, les Dyolof-Dyolof, se gardèrent de revenir jusqu’à la mort d’Amari Ngoné dont le règne dura 44 ans. Amari fut remplacé, dans le Kayor, par son fils Massamba Tako, 3e Damel, et, dans le Baol, par son neveu Mamalik Tioro Ndjingèn, fils de Massamba.
Amari Ngoné avait nommé sa mère, la lyngèr Ngoné Sobel, reine du Kayor et du Baol. Son cousin Manginak Diouf fut désigné comme premier ministre du Baol ou Dyaraf Baol.
On raconte que la reine Ngoné Sobel faisait souvent des tournées avec une suite formidable de femmes chargées de provisions de toutes sortes : viande sèche, couscous, beurre, miel, alcool, tabac, et beaucoup d’eau dans des canaris. Cette escorte était toujours encadrée par des guerriers à cheval et à pied, esclaves de la Couronne. Un jour, elle rencontra un éléphant qui fut tué à l’endroit où est situé le village de Nguick, dans le Guéoul (Baol). À partir de cette mémorable journée, le village fut baptisé de ce nom de Nguick, qui signifie en dialecte serer “éléphant”. Le surnom de Warfanguick fut donné à la reine, qu’on appela désormais Ngoné “Warfanguick”, ce qui veut dire “tueuse d’éléphant”.