Et plus loin : « …. en vertu des dispositions de l’article 163 bis du code pénal, le délit d’enrichissement illicite est constitué lorsque, sur simple mise en demeure, le titulaire d’une fonction gouvernementale ou agent civil de l’Etat se trouve dans l’impossibilité de justifier de l’origine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession d’un patrimoine ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux ».
La Crei vient ainsi de démontrer clairement l’origine du patrimoine de Karim qui n’est pas formé de détournement d’argent public qui constitue la base et la justification de la demande sociale des citoyens sénégalais.
Au demeurant, ces sociétés incriminées continuent d’exister et fonctionnent le plus légalement du monde. Elles n’ont causé aucun préjudice à L’Etat du Sénégal tant qu’elles étaient en règle avec le fisc. Elles n’ont causé de préjudice qu’aux sociétés concurrentes dans les secteurs concernés. En vérité, ce sont ces sociétés concurrentes qui devraient se constituer en partie civile dans ce procès. Nous ne comprenons pas comment l’Etat, dont les deniers ont été épargnés s’est vu oblige de se constituer en partie civile en prenant en charge les lourds frais qu’occasionne ce procès. Cependant, il est judicieux de noter que : soit les sociétés « de Karim » profitent de ces marchés juteux et rentables, soit d’autres entreprises privées nationales ou étrangères en bénéficient, mais en aucun cas pas l’Etat qui n’est intéressé dans ce cas d’espèce que par les impôts et les taxes sur ces sociétés. Les ressources tirées de ces sociétés ne pourraient en aucun cas emprunter les chemins du trésor. Dans ces circonstances peut-on qualifier ce délit d’enrichissement illicite qui dans l’imaginaire et l’entendement populaire se confond à un détournement de deniers publics ? Alors, la Crei n’a-t-elle pas blanchi Karim ?
Les sociétés dont on impute la propriété à Karim Wade sont légalement constituées, leur existence certifiée par des actes notariés et fonctionnent dans les règles de l’art en dépit de l’usage prouve ou non du pouvoir d’influence du ministre d’Etat Karim Wade. La constitution de ce délit serait plus facilement établie et acceptée si les dites sociétés n’appartenaient pas à Karim Wade comme l’attestent d’ailleurs les actes notariés. Il suffisait à la Crei de se conformer et de se limiter aux actes notariés qui mettent légalement en cause l’appartenance des sociétés considérées à Karim pour le déclarer atteint du délit d’enrichissement illicite. Il serait ainsi impossible à ce dernier de justifier l’origine licite de son patrimoine et de son train de vie. On peut ainsi soupçonner un détournement de deniers publics et répondre à la demande sociale des sénégalais qui consiste à la reddition des comptes et à la récupération de l’argent public détourné. En revanche, en démontrant que les sociétés considérées appartiennent à Karim, la Crei explique par elle-même l’origine du patrimoine et du train de vie de Karim et par conséquent prouve qu’il n’y a aucun détournement de deniers publics dans ce cas d’espèce.
Qu’est-ce qui est illicite dans l’origine du patrimoine de Karim ? En tant que ministre n’avait-il pas le droit de créer une société, de faire des faveurs à des prête-noms, d’être bénéficiaire économique d’entreprises privées ? De toutes les façons, des personnes bénéficiaires économiques d’entreprises privées occupent de fortes positions au cœur de l’Etat. La différence est que leurs sociétés existaient déjà. On a parlé de conflit d’intérêt, mais en vain. La pratique du prête-nom constitue-t-elle un délit ? Dans ce cas, pourquoi les prête-noms qui ont avoué leur complicité respirent-ils l’air de la liberté ?
Paradoxalement, Karim pourrait, sur la base de ce verdict rendu par la Crei, justifier l’origine de son patrimoine et partant changer la nature de l’accusation. Ne devrait-on pas parler dans cette situation de délit de prête-nom ou de trafic d’influence ou d’incompatibilité de fonction de ministre et de qualité d’entrepreneur ?
En résumé, la demande sociale des sénégalais consiste à la reddition des comptes et à la récupération de l’argent public détourné. Il n y a aucun détournement de deniers publics dans ce cas d’espèce. Il est important de lever la confusion. Karim avait-il le droit de créer des sociétés gérées par des prête-noms en tant que ministre et d’user de son pouvoir d’influence ? C’est la véritable question qui vaille d’être posée et qui mérite une réponse correcte de la justice, soit une peine équitable proportionnelle au délit.
Dr Abdoulaye Taye
Enseignant à l’Université Alioune Diop de Bambey