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SOULEYMANE SOKOME :FOCUS SUR UN TERRORISME ISLAMISTE SAHELIEN.

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La chute des régimes autoritaires en Tunisie, Egypte, Lybie et la guerre au Nord du Mali compromettent la paix, la stabilité et la sécurité dans la zone sahélo-saharienne. L´intervention militaire de la France et du Royaume-Uni en Libye avec l´appui de l´OTAN sous mandat de l´ONU en 2011 a engendré un nouvel axe islamiste d´instabilités majeures qui s´est installé dans la région pétroliére du Delta du Niger allant de la Libye au Nigéria en passant par le Mali avant de s´étendre au Nord du Cameroun et á la frontiére avec le Tchad.

Le Sahel fait face aujourd´hui au spectre de la menace terroriste et de la criminalité internationale épargnant aucun pays de la sous-région. Cette situation inquiétante est facilitée par des frontiéres poreuses ayant pour conséquence la naissance d´un bastion du terrorisme international avec les groupes terroristes potentiellement dangereux: AQMI au Maghreb islamique, le Mouvement pour l´Unicité et le Jihad en Afrique de l´Ouest (MUJAO), le Mouvement National pour la Libération de l´Azawad (MNLA), le groupe Ansar Dine au Mali et au Niger et le mouvement Al Shabaab de Somalie.

La secte islamiste Boko Haram supposée en étroite collaboration avec ces groupes a pris au lendemain de l´insurrection libyenne et du « printemps arabe », un essor considérable en termes de dangerosité, acquérant ainsi une capacité de nuisance certaine pour non seulement les démocraties occidentales mais aussi toute l´Afrique qui se trouve dorénavant au bord du gouffre.

Les enlèvements et les crimes les plus atroces se multiplient dans la quasi-indifférence de la communauté internationale mais aussi des pays africains.

Qui est ce mouvement islamiste « Boko Haram » dont tout le monde en parle ? Quels sont les enjeux et dangers du mouvement ? Quelle complicité avec le pouvoir central nigérian et le monde extérieur ? La Cour Pénale Internationale (CPI) a t-elle le droit d’exercer sa compétence sur Boko Haram ? Quelles solutions pour mettre fin á cette boucherie humaine ?

L’intelligence est la capacité d’un être à exploiter à une vitesse extrême son propre réservoir de connaissances en vue de soulever et d’estimer les vrais problèmes et d’y apporter les bonnes réponses. Et pour paraphraser l´anthropologue Claude Lévi-Strauss „Le savant n´est pas l´homme qui fournit de vraies réponses; c´est celui qui pose les vraies questions“.

La présente analyse vise á fournir une compréhension plus approfondie du groupe terroriste « Boko Haram » qui hante le sommeil des africains avec la complicité d´un monde fou qui prime les intérêts économiques au détriment de la protection civile. L´analyse est mise á la disposition de l´Association Internationale des Droits de l´Homme (A.I.D.H), une ONG dotée du Statut Consultatif Spécial auprés de l´ONU, basée en France.

Qui est ce mouvement islamiste Boko Haram qui séme la terreur ?

Historiquement, la secte Boko Haram est née dans les années 2001 dans l´Etat du Borno au Nigéria oú elle sévit depuis 14 ans. Le groupe opére depuis Maiduguri dans la région excentrée du Borno, á la frontiére du Niger, Tchad et du Cameroun, sous l´égide d´un leader spirituel. Sa génése est á la fois une révolte sociale et religieuse : violence ethnique et communautaire, corruption endémique, pauvreté galopante, taux élevés de chômage chez les jeunes du Nord, l´équilibre instable des civilisations. Boko Haram exploite ces conditions négatives de la population locale pour bien justifier ses activités. Mais c´est tout récemment que l´organisation s´est transformée en un enjeu géopolitique, principe actif d´un cycle attaques-représailles spectaculaire que meurtrier : Prise d´otage de 250 adolescents, garçons et filles, attentat-suicide contre les bureaux des Nations-Unies á Abuja en 2011 provoquant une vingtaine de morts, destruction de plus de 100 villages, 3000 morts et 20.000 personnes en fuite. Tout le monde, musulmans, chrétiens ou autres, est une cible pour Boko Haram. La secte tue sans discernement.

Cette atrocité révéle la dimension internationale du groupe terroriste qui était considéré jadis comme une organisation dont l´agenda politique et religieux se limitait seulement au niveau local.

Aujourd´hui, Boko Haram est surmédiatisé, ce qui lui rend plus puissant en utilisant les médias comme arme de guerre. Littéralement, Boko Haram, dont l´origine du nom vient de la langue Haoussa, signifie « l´éducation occidentale est un péché » c´est á dire pervertie menaçant les sociétés islamiques. Le groupe islamiste a pour doctrine l´application stricte de la loi islamique appelée « Charia » en installant un Etat indépendant qui répond aux normes d´un islam rigoriste et fondamentaliste.

Il faut préciser que le programme de Boko Haram est politique tendant vers l´idéal d´une République islamique intégriste, bien plus que vers la conquête du pouvoir. Le groupe revendique une nouvelle vision du monde. Son nom officiel est « Jama´at ahl al-sunnah li-l-Da´wah wa-al-Jihad » (Association du peuple engagé dans la propagation de l´enseignement du prophéte Mohammed (Paix et Salut sur Lui) et de la guerre sainte).

Pour atteindre l´objectif á long terme, le groupe vise les intérêts du gouvernement central nigérian en s´attaquant aux ennemis de l´islam y compris les « mauvais musulmans ». Ainsi, on note une internationalisation du groupe Djihadiste en dehors du Nigeria, usant des méthodes terroristes á large échelle.

Quels sont les enjeux et dangers de Boko Haram ? 

En tant qu´organisation terroriste puissante, opposant á des idéologies, pour un monde nouveau, Boko Haram a des enjeux bien précis : dominer et imposer un Etat purement rigoriste et fondamentaliste par le respect de la Charia. En dehors de ces revendications purement idéologiques, Boko Haram mise aussi sur d´autres enjeux politiques et économiques.

Le Nigeria est riche en pétrole mais l´or noir du Delta du Niger et les autres richesses sont distribuées d´une façon inéquitable au niveau des populations locales. Grâce á ses ressources naturelles (pétrole, gaz naturel, étain, charbon), le Nigéria est devenu tout récemment la premiére puissance économique d´Afrique selon les derniers calculs des produits intérieurs bruts. Il y a une forte présence des multinationales. Boko Haram compte sur la main mise de ces ressources naturelles et d´autres activités illégales pour trouver des sources de financement et de ravitaillement.

Ce qui explique sa tactique de guerre insurrectionnelle á une guerre contre-insurrectionnelle.

Un autre enjeu á souligner est notamment un contrôle territorial plus important autour du Bassin du Lac Tchad pour avoir un positionnement transfrontalier stratégique en cas d´encerclement par les armées du Nigeria, du Niger, du Cameroun, de la Centrafrique, de la Libye, du Tchad et du Bénin. Le Bassin du Lac Tchad constitue un point stratégique pour Boko Haram. Le groupe terroriste a besoin de base arriére pour se perpétuer. Tout se joue au niveau de cette zone stratégique qui demeure un théâtre d´affrontements sanglants opposant l´armée camerounaise et tchadienne á des islamistes armés de Boko Haram.

Á cet effet, la menace Boko Haram ne reste pas moins un danger pour l´Afrique et le reste du monde dans une perspective á long terme. D´abord Boko Haram pose de graves problémes sécuritaires et de développement non seulement au Nigeria mais aussi dans les pays voisins, á savoir, le Cameroun, Tchad, Niger, Bénin, le Mali et la Mauritanie, voir même au delà de ces pays. En tissant des liens avec d´autres organisations islamistes sahéliennes par exemple AQMI ou en dehors de l´Afrique comme Al-Qaïda, Boko Haram présente une réelle menace pour la stabilité de la zone sahélo-saharienne. Selon les estimations de l´Observatoire des Droits de l´Homme, en Août 2014, les combattants de Boko Haram auraient dépassé le seuil des 50.000 en Syrie, dont 6 000 recrutés pour le seul mois de Juillet. C´est un groupe á prendre au sérieux. Il est urgent de se pencher véritablement sur la question avant que la secte ne s´empare d´autres territoires, dans la mesure oú, les fondamentalistes comptent étendre leur hégémonie sur l´ensemble du continent en passant par le Cameroun et la région du Lac Tchad. Ils souhaitent également démontrer leur influence dans le monde par rapport á d´autres organisations terroristes. D´ailleurs, Boko Haram est classé par les Etats-Unis parmi l´un des groupes terroristes les plus dangereux en Afrique.

Quelle complicité avec le pouvoir central et le monde extérieur ? 

Depuis l´attentat du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, la théorie du complot ne cesse d´être reprise. La question Boko Haram me pousse ainsi á soulever des théses complotistes sur le mouvement. Qui se cacherait derrière Boko Haram, á qui profite l´instabilité politique et pourquoi le mutisme des autorités nigérianes et des instances régionales ?

La puissance économique du Nigeria ainsi que les ressources pétroliéres du Golfe de Guinée et la présence effective de la Chine dans la zone dérange t-elle les grandes puissances du monde y compris l´Arabie Saoudite et le Quatar en tant que pays membres de l´OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ?

Ces questions font des rumeurs de collusion entre d´un côté Boko Haram et les puissances étrangéres et de l´autre côté l´appareil d´Etat nigérian.

Certes, il n´y a aucune preuve pour ces théories mais une chose est sûre, nous vivons dans un monde des affrontements économiques entre nations, opposant deux blocs : les puissances planétaires que sont désormais la Chine, le Japon, l´Inde, la Russie, l´Amérique Latine d´une part et les Etats-Unis et l´Union Européenne d´autre part. Dans un contexte international morose rien ne pourra empêcher désormais le choc violent  entre les deux blocs.

L´Afrique en l´occurrence le Golfe de Guinée (Ghana, Togo, Bénin, Nigeria, Cameroun, Guinée équatoriale, Gabon et Sao Tomé-et-Principe) dont les ressources naturelles sont convoitées de toutes parts, restera le champs de bataille oú les grandes puissances s´affronteront pour la maîtrise des produits de base nécessaires á leur économie. Tous les coups sont permis pour préserver l´hégémonie économique au détriment d´un monde de paix et de prospérité. D´ailleurs c´est l´une des raisons du silence de la communauté internationale face á la progression de Boko Haram. Pour moi il ne s´agit pas seulement de condamner le terrorisme mais il faut plutôt agir car la paix mondiale est menacée si on se réfère sur les buts et principes de la Charte des Nations-unies en son article 1 qui stipule que « L´un des buts des Nations-unies est de maintenir la paix et la sécurité internationale en prenant des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d´écarter les menaces á la paix et de réprimer tout acte d´agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l´ajustement ou le règlement de différents ou de situations, de caractére international, susceptible de mener á une rupture de la paix ».

Á quoi servent les résolutions 1373 (2001) et 1624 (2005) du Conseil de sécurité de l´ONU, relatives au Comité contre le terrorisme ?

La Cour Pénale Internationale (CPI) a t-elle le droit d’exercer sa compétence sur Boko Haram? 

La barbarie ignoble de Boko Haram m´effleure en tant que juriste la question de savoir la compétence de la CPI sur Boko Haram. La CPI en tant que juridiction internationale peut-elle exercer sa compétence sur Boko Haram ? La réponse est oui.

Le Nigéria a déposé son instrument de ratification du Statut de Rome le 27 septembre 2001. La Cour pénale internationale a donc compétence à l’égard des crimes visés par le Statut de Rome commis sur le territoire du Nigéria ou par des ressortissants de ce pays à compter du 1er juillet 2002. Dans un rapport préliminaire sur la situation au Nigeria, que le procureur de la CPI suit de près depuis 8 ans, les violences perpétrées par le groupe islamiste Boko Haram sont qualifiées de crimes contre l’humanité. Ce rapport constitue la phase d’examen préliminaire par la CPI, soit la phase précédant l’ouverture d’une enquête.

Par contre, les autorités nigérianes ont la responsabilité première. Et la CPI ne peut ouvrir une enquête que si les autorités nationales pêchent visiblement pour traduire en justice les personnes concernées.

Le Bureau de la CPI estime qu’il existe une base raisonnable permettant de croire que des crimes contre l’humanité, à savoir des meurtres et des actes de persécution attribués au groupe Boko Haram, ont été commis au Nigéria. Le Procureur a donc décidé de passer à la phase 3 (recevabilité) de l’examen préliminaire de la situation au Nigéria afin d’évaluer si les autorités nationales conduisent de véritables procédures à l’encontre des personnes qui semblent porter la plus large part de responsabilité pour de tels crimes et de déterminer la gravité de ces crimes.

Juridiquement, Boko Haram viole l´article 7 du Statut de Rome qui stipule que les crimes contre l´humanité regroupent „les meurtres, , […] les emprisonnements ou autre forme de privation grave de liberté physique, […] les persécutions de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste et les disparitions forcées de personnes », si ces actes sont « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».

C´est dans cette logique juridique qu´une procédure judiciaire émanant de la CPI est engagée contre Boko Haram et les forces gouvernementales nigérianes qui se rendent aussi coupables de graves exactions commises contre les populations civiles. Ces forces sont responsables de plusieurs milliers de morts lors de raids sur les villes du Nord oú ont lieu les attaques de Boko Haram selon la CPI. L’Etat nigérian en tant signataire des clauses juridiques de la Cour Pénale Internationale est responsable de violations du droit à la propriété énoncé dans l’article 17 de la Déclaration Universelle des Droits de l´Homme ainsi que de l’article 12 de cette même déclaration. Ces articles stipulent que « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ». Or, les forces de sécurité pillent, détruisent et brûlent des maisons sous prétexte d’une appartenance présumée des habitants aux groupes islamistes.

Quelles solutions pour mettre fin á cette boucherie humaine ? 

Pour faire face á la menace des différents groupes terroristes opérant sur le continent, l´Afrique doit être avant tout consciente qu´aucun pays du monde n´est á l´abris du terrorisme et que le continent est dans l´obligation de prendre en main son destin. L´Afrique doit résoudre ses propres problémes pour le bonheur de ses citoyens. Cela doit constituer une source de motivation suffisante pour prémunir et attaquer tous les fléaux entravant notre développement. La menace que représente Boko Haram n´est plus locale mais continentale. Le terrorisme c´est comme un cancer. Si on ne le traite pas, il continuera á se propager. Boko Haram et les autres groupes terroristes représentent un potentiel danger pour le continent tout entier. Il est donc urgent pour l´Union Africaine en concertation avec les organisations sous-régionales d´étudier de nouveaux mécanismes pour faire face á ce fléau qui continue par nous plomber, par nous tirer vers le bas. Il est de l´intérêt de toutes les nations africaines de lutter contre ce drame.

Cette lutte efficace et effective contre le terrorisme en Afrique doit logiquement s´appuyer sur une coopération militaire des pays africains á l´instar du déploiement des troupes tchadiennes au Cameroun. Un geste á saluer dignement pour le soutien du Tchad au Cameroun. La lutte doit aussi se baser sur une pluralité d´initiatives et d´aspects notamment d´ordre politique volontariste, diplomatique, socioéconomique (s´attaquer aux conditions qui favorisent le développement du terrorisme) et sécuritaire (renforcement des capacités opérationnelles des forces de sécurité et de défense). Sans cette initiative volontariste et concrétisée des pays africains y compris le Nigeria dont les moyens financiers ne manquent pas, il sera difficile de mettre fin á la dangereuse, fulgurante et meurtrière avancée de la nébuleuse terroriste du groupe Boko Haram. La mobilisation mondiale pour sauver Charlie Hebdo de la barbarie humaine devrait bien inspirer les dirigeants africains. L´Afrique et le monde ne peuvent pas être indifférents de cette tragédie humaine dans le Sahel plus particuliérement au Nigeria, Cameroun et Tchad. En attendant qu´une force africaine d´intervention rapide et une trompette de solidarité mondiale se matérialisent, Boko Haram poursuit de plus belle maniére sa campagne sanguinaire en endeuillant l´Afrique et en infligeant douleurs et souffrances á de milliers de familles africaines.

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